Le stand-up, un humour bien sérieux


Dans Culture
Laura Maestre Mendez

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Salle comble au Ardent Comedy Club - ©  chloevphotographie

La salle de l'Ardent Comedy Club est pleine à craquer. Pourtant, quand Julie demande à l’applaudimètre «qui n'a jamais vu de stand-up avant ce soir?», la quasi-totalité de l’assemblée se fait entendre. Un art nouveau qui attire beaucoup de curieux. En salle et sur scène.

Tenter l’expérience stand-up à Liège, c’était le pari de Médéric, humoriste et gérant de l'Ardent Comedy Club. «J’ai remarqué que ça se faisait énormément à Bruxelles mais pas du tout en province de Liège, ni même en Wallonie de manière plus générale». Liège semble clairement en retard par rapport à la capitale. Mais la mode du stand-up s'y répand comme une traînée de poudre. Résultat: la demande explose. Pour répondre à ce public grandissant, de nombreux comedy clubs sont apparus sur le territoire liégeois. L’Ardent Comedy Club est l'une des premières structures à se positionner. «En lançant Ardent Comedy, je pense que ça a développé l’idée que le stand-up a sa place partout. Plusieurs humoristes me disent qu’ils lancent eux aussi leurs projets et qu’ils commencent à décoller.»

Médéric sur scène

                                                                      Médéric sur scène - ©  Ardent Comedy Club

Selon Julie, humoriste et animatrice du plateau d'Ardent, même si le stand-up attise la curiosité, il a certains soirs du mal à rencontrer son public. «De l’humour, à Liège, il y en a toujours eu. Mais le Liégeois n’est pas encore habitué au spectacle d’humour. On est habitué à “l’humour de nos papas”. Pourtant, on voit une nouvelle vague d’humour et d’humoristes qui arrive à Liège en fanfare mais qui prend le temps de se faire connaître.» Dans cette fanfare, on retrouve des profils très variés avec des humours différents mais un trait commun: l’envie d’être derrière le micro.

Julie sur scène                                                                     Julie sur scène - ©  Ardent Comedy Club

Comme l'expliquent les deux humoristes, «il y a de tous les âges, des gens qui viennent de partout, des gens qui se déplacent depuis Lille pour faire des scènes. On a eu une Allemande qui voulait faire son sketch en français parce qu’un de ses parents était Belge. Il y a des gens qui font énormément de route pour seulement cinq minutes sur scène.»

Beaucoup d’appelés, peu d’élus

Malgré une boîte mail qui déborde de demandes pour monter sur scène, Médéric doit faire des choix. «Sur les plateaux, on est limités par un nombre de places. Cinq à six stand-uppers par soir. Forcément, si on a cent demandes, c’est compliqué». Pas de place, pas de temps, les humoristes désireux de tester leurs blagues doivent souvent aller tenter leur chance ailleurs, quitte à aller voir dans d’autres villes. Un métier plus solitaire qu’il n’y paraît. «Ce n’est pas facile de se faire une place. Il y a des moments où j’ai le sentiment d’être toute seule. À Bruxelles, j’ai l’impression qu’ils vivent tous ensemble dans un grand appart, c’est un truc de fou», explique Julie. «Tu peux avoir réussi une scène, te sentir comme une mégastar, enchaîne Médéric. Mais quand tu rentres chez toi, dans le train, tu es tout seul avec les toxicomanes de Liège. Le retour est long.»

Le stand-up reste un art nouveau, encore caricaturé dans l’imaginaire collectif. «J’aime comparer ça au rap de l’époque, on le voit un peu comme le petit frère underground.» C’est cette vision négative du stand-up que l’Ardent veut briser. Avec un mot d’ordre: la bienveillance. Autant pour les spectateurs que pour les humoristes. «Je ne contrôle pas les humoristes qui montent sur scène. En revanche, je veux que personne ne se sente agressé dans la salle. Les humoristes peuvent se planter. Un bide, on le vit tous ensemble, ce n’est pas grave.» Dans ce cas, l'équipe invite l'artiste à remonter sur scène lors d'une soirée ultérieure. Mais lorsque les blagues génèrent un malaise, blessent le public, le ton change: «Une personne qui monte sur scène et crée un malaise, ou qui heurte quelqu’un, renvoie à cette image péjorative que beaucoup ont du stand-up: on prend quelqu’un dans la salle et on le cible pendant une heure. Je n'aime pas ça. Certains humoristes en ont pourtant fait leur marque de fabrique, comme Redouane Bougheraba. Et paradoxalement, les gens payent plus cher pour être au premier rang et se prendre vanne sur vanne.»

Un art en expansion mais un soutien tardif

Bien que le stand-up soit un art en plein boom, très peu de subsides publics sont accordés aux artistes, autant pour les petites structures comme l'Ardent Comedy Club que pour les mastodontes du secteur comme le Festival international du rire de Liège. «Les plus importants subsides accordés au festival viennent du Montreux Festival, qui a racheté plein d'événements plus modestes. Sauf que pour celui de Liège, on fait venir des Gad Elmaleh et des Laura Felpin, ça chiffre. Il est impossible de rentrer dans les frais», confie Médéric.

La ministre de la Culture, Bénédicte Linard (Ecolo), a annoncé des «moyens inédits» pour les arts de la scène dans les cinq prochaines années. Avec une meilleure répartition des subsides en 2024, les secteurs de l’humour et du cirque seraient parmi les nouveaux soutenus. Pourtant, beaucoup d’humoristes se sentent délaissés. «L’État considère le stand-up comme un art individuel. Si l’humoriste vend ses places, il se paye. Contrairement au théâtre, qui représente plusieurs emplois. C’est une méconnaissance de l’art parce qu’il peut y avoir des metteurs en scène, des régisseurs, des co-auteurs dans le stand-up. On peut effectivement le faire seul, mais si on veut évoluer et faire quelque chose de professionnel, il faut s'entourer et pour cela il nous faut du soutien.»

Aide-toi et le gouvernement t'aidera

Pour pallier ce manque, les humoristes décident de... se soutenir eux-mêmes. En pleine période Covid, l’humour ne bénéficiait pas des aides mises en place pour les arts vivants. Un ministre a même dit à l'humoriste Vincent Taloche: «Vous êtes hors radar dans le monde culturel.» C’est suite à cela qu’il a lancé, avec d’autres humoristes, la Fédération belge des professionnels de l’humour. En deux années d’existence, l'artiste constate une réelle évolution. «Désormais, l’humour est inscrit dans les décrets gouvernementaux, on partait vraiment de zéro. Il y a, de mémoire, une enveloppe de 400.000 euros accordée au secteur.» Un soutien qui commence à se faire sentir, mais qui reste encore très maigre pour aider tout un secteur en expansion. «Notre Fédération reçoit 50.000 euros par an pour la période 2025-2028, poursuit Vincent Taloche. C’est moins que ce qu’on demandait, ce n’est pas suffisant pour engager des mi-temps. Mais bon, on ne va pas râler. On va leur prouver que dans deux ans, on sera bien présents et qu’on devra jouer avec nous.»

Même si l’humour reste encore boudé par les institutions, Médéric et Julie sont plus motivés que jamais. Avec pour lui, un spectacle en préparation et des projets en télé et en radio (mais ça, c’est secret). Il va continuer de développer la structure de l'Ardent Comedy Club pour qu’elle pérennise et serve les jeunes humoristes. Et pour elle, toujours plus de spectacles. Elle va rassembler les plateaux qu’elle organise déjà sous un seul et même nom.

Laura Maestre Mendez

 

L'Ardent Comedy Club commence à se faire connaître chez les Liégeois, mais la meilleure façon d’en juger est d’en faire l’expérience par soi-même. Vous retrouverez toutes les dates sur leur site et leur Instagram @ardentcomedy.prod et vous pouvez suivre la talentueuse Julie sur Instagram  @tout_le_monde_m_appelle_julie.

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