Ces jeunes agriculteurs incapables de racheter la ferme familiale


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Morgane Pérez Lucena

92964097 3026099794106723 507696139756109824 nGuillaume Drisket, agriculteur aux Fraises d'Othée -  © ADL Awans

Être enfant d’agriculteur implique souvent de reprendre l'exploitation familiale. Une tradition semblant révolue aux yeux des jeunes agriculteurs, pour qui devenir propriétaire s’avère inaccessible. Pression foncière, enjeux familiaux et crise économique: le chemin vers la ferme est semé d’embûches.

Hériter d’une terre cultivable constitue un cadeau en or pour un jeune agriculteur. Mais ils ne bénéficient pas tous de ce privilège. Guillaume Drisket fait partie des chanceux. Co-propriétaire des Fraises d’Othée avec son père, il aspire à reprendre ses parts dans le futur. «Papa est agriculteur à temps plein: il cultive principalement des fraises et des cerises. Moi, je gère le volet animal: des volailles, des poules pondeuses», précise Guillaume Drisket. Le jeune homme occupe une position particulière: il travaille également au Service public de Wallonie dans le secteur des aides à l’installation pour les jeunes agriculteurs. Il cumule une expérience de terrain et de spécialiste dans le domaine: « Durant mes activités administratives au SPW, je me sentais éloigné du concret. Lorsque j'ai eu l'opportunité de me rapprocher des champs, je n'ai pas hésité.»

Des parcelles qui valent de l'or

L’enjeu, c’est le capital foncier: la terre. Elle attise les convoitises, la discorde. Tout le monde la veut, personne ne souhaite s’en débarrasser. Certains jeunes rêvent exploiter, en tant que locataires, des parcelles d’agriculteurs retraités pour y faire carrière. Bien souvent, ces anciens du métier refusent de lâcher l’affaire. «Ça, c’est la mentalité d'agriculteur. Pour eux, on ne touche pas aux terres. Elles représentent du patrimoine et, surtout, de l’argent», décoche Guillaume Drisket. Ces terres arables, la grande distribution se les arrache. «On sent la pression. Le jour où il arrive un truc à papa, je m'attends à ce que les propositions commerciales affluent.»

En région wallonne, les prix à l’hectare atteignent des dizaines de milliers d’euros. «Généralement, les parcelles seront cédées au plus offrant. Seuls les plus nantis se révèlent en mesure d'acheter... et tant pis pour les jeunes, qui manquent souvent de capitaux», expose Anne-Sophie Janssens, conseillère juridique à la Fédération des jeunes agriculteurs (FJA). Les plus vernis hériteront grâce à leurs parents de la terre, ainsi que des moyens de production, comme le cheptel ou les outils de travail. La transmission d’une exploitation agricole à l'enfant survient soit à la succession, après le décès du parent propriétaire, ou par le biais d'une donation de son vivant. Depuis 2005, un décret permet la transmission du patrimoine agricole sans aucun frais, à condition de respecter certaines mesures.

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Une affaire de famille

Malgré cette exonération, transmettre son capital foncier à sa descendance se révèle complexe, encore plus lorsqu'il s'agit de partager. «Imaginez une famille de cinq enfants se répartissant cinquante hectares. Il n'y en a qu’un seul qui reprend le travail, mais chaque enfant se retrouve propriétaire de dix hectare», illustre Anne-Sophie Janssens.

«Ma sœur est institutrice primaire et n’exerce aucune activité agricole pour l’instant. Reprendre ses parts m'intéresse mais les terres atteignent aujourd'hui des prix délirants», se désole Guillaume Drisket. La loi du 29 août 1988 (modifiée en août 2015) permet à celui qui reprend l’exploitation d’être prioritaire sur ses frères et sœurs et de racheter leurs parts... mais elle ne diminue pas ses coûts.

La stabilité du fonctionnaire

Depuis janvier 2024, partout en Europe, les agriculteurs revendiquent «de meilleurs revenus et une simplification des normes», comme le rapporte Euronews. Ils réclament notamment une révision de la Politique agricole commune (PAC), jugée insuffisante dans son soutien financier à la profession. Même dans ce contexte, les jeunes pousses demeurent combatives. «Quand je vois le nombre de jeunes qui sont allés manifester, je me dis qu’il reste quand même de la passion. Ils connaissent la problématique et ils veulent continuer à vivre du travail de leurs terres», se réjouit Anne-Sophie Janssens. 

Néanmoins, ces travailleurs se montrent inquiets pour leur survie. «Depuis le passage du Covid, je me suis rendu compte que l’emploi que j’ai au SPW m’apporte énormément de stabilité, pendant que certains collègues agriculteurs ont été mis au chômage», confie Guillaume Drisket. Au vu de son emploi à la Région wallonne, il n’a pas jugé cohérent d'aller manifester avec son tracteur.

Davantage contrôlé qu'un dealer

À ses yeux, certaines revendications valent la peine, d’autres moins. «Je comprends le point de vue de mes homologues, mais aussi celui des politiques. Je vois les revendications des agriculteurs à la télévision, mais je les observe aussi, au boulot, sur papier», se justifie-t-il. «Je trouve par exemple que les aides à l’investissement et à l’installation sont devenues extrêmement facile d'accès.» Sa casquette d'agriculteur lui permet aussi de nuancer son propos d’expert: «La déclaration des terres, par contre, relève du casse-tête. On est plus contrôlés pour notre tas de fumier que des dealers de drogue, quoi!»

 

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Action spontanée des membres de la FJA à Haut-Ittre le 19 mars 2024 - © Fédération des Jeunes Agriculteurs

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