Quand la littérature monte sur les planches


Dans Culture
Emma Puma et Elodie Petitpas

Corps de textes 1

Et si, pour une fois, les comédiens cédaient les planches aux écrivains? Loin du confort de leur clavier, ceux-ci déclament leurs mots face au public. Le Festival «Corps de Texte», organisé par le Théâtre de Liège, célèbre la littérature sur scène. Compte-rendu de la soirée d’ouverture.

Des cassettes, une radio pour les jouer, et un micro. Le dispositif se veut minimaliste. Cécile Hupin, l’auteure, récite son texte sur une plateforme de deux mètres carrés. Le théâtre qu'exploitaient ses grands-parents — « Kiki » et « Colo » — tenait dans un espace tout aussi restreint : 45 places, des marionnettes et des histoires de colombes qui se posent sur les épaules d’un enfant. Mais que reste-t-il aujourd’hui de ce «Théâtre de deux mètres»?

Cécile Hupin insère une cassette dans le lecteur. Le projecteur éclaire doucement son visage. Son ombre se reflète sur le plafond de bois. Un air de trompettes résonne au «Creux de la Main» — la salle de spectacle — et l’histoire commence. L’écrivaine raconte le «théâtre de deux mètres», cet endroit, en dehors du temps, où elle a débuté sa carrière artistique à l’âge de six ans. La musique s’arrête, Cécile Hupin a une confession à faire: elle a une disparition sur la conscience. Car cet espace minimaliste, l’auteure n’en a rien fait. Tandis qu’elle écrivait des textes sur l’écologie et l’extinction des espèces, le «théâtre de deux mètres» brûlait, réduit en fumée par des grands-parents qui souhaitaient ne pas regarder en arrière.

Je promets

Comme pour conjurer le passé, Cécile Hupin redonne momentanément vie à cet univers perdu. Sa voix tremble parfois sous le coup de l’émotion. Les spectateurs, la tête légèrement penchée sur le côté, lui sourient avec candeur. Peut-être aussi avec mélancolie. Qui ne se pose pas la question fondamentale de savoir ce qu’il restera de lui, après lui?

Les mots glissent. Le théâtre de deux mètres ressurgit dans la poésie du texte. Le lecteur-cassette joue un air heureux. Cécile Hupin entame déjà les dernières phrases du récit. Raconter. Se louper. Essayer encore pour offrir un monde aux réminiscences. Elle conclut: «Je promets, je promets, je promets, je promets… De faire de mon mieux». La musique s’arrête. Le «théâtre de deux mètres» s’est imprimé sur notre rétine.

Où est Edouard?

La soirée d’ouverture du festival s’est poursuivie avec L’interrogation, une pièce écrite par Edouard Louis et mise en scène par Milo Rau. D'emblée, on s’interroge: où est Edouard Louis? L’écrivain n’est-il pas censé déclamer son texte sur scène, comme le veut le principe du festival? Or la pièce est interprétée par Arne De Tremerie, comédien flamand qui a déjà collaboré avec Milo Rau lors de précédents projets.

Cette entourloupe prend cependant tout son sens durant la pièce. On apprend que l’écrivain, dont le rêve d’adolescent était d’être acteur, n’a finalement pas souhaité interpréter son propre texte. Il propose alors à son ami et metteur en scène, Milo Rau, que leur projet soit incarné par une tierce personne. Le résultat de leur choix se tient devant nos yeux.

Projet commun

La création d’Edouard Louis et de Milo Rau souhaitait amener sur les planches les sujets et les milieux sociaux qu’on n’y voit pas assez, selon eux. Ils relèvent ensemble ce défi, à l'aide d'un texte qui retrace la vie de l’écrivain, comme une sorte de bibliographie. Edouard Louis revient sur les événements qui ont marqué sa vie. Il parle de son enfance dans une campagne qui transpirait le racisme et l’homophobie. Revient sur le harcèlement et l’isolation qu’il a subis à l’école. Sur sa difficulté à accepter son orientation sexuelle. Et puis, sur sa rencontre avec les planches du théâtre à l’école. Ce lieu constitue d'abord une simple échappatoire à l’enfer du temps de midi, lors duquel personne ne l’accepte à sa table. Mais, très vite, il y voit l’opportunité de prendre sa revanche. Celle de devenir quelqu’un en investissant la capitale. A travers cette introspective, l’écrivain français s’interroge sur sa relation à l’art.  

En néerlandais

Arne De Tremerie incarne Edouard Louis et livre une interprétation émouvante qui capte et retient l’attention des spectateurs présents dans la salle. Et pourtant, tout n’était pas gagné d’avance, car c’est en néerlandais que le comédien performe. Grâce à une mise en scène judicieuse, la langue ne constitue pas une barrière. La solution? Le 7e art s’invite sur scène avec une caméra qui filme l'homme en gros plan. Il apparaît ainsi sur un écran de projection surplombant la scène, avec des sous-titres français en prime. Nous voilà ainsi happés. Le spectateur perçoit et ressent chaque sentiment traversant le visage du comédien. Ce dispositif permet également une forme d’interaction avec Edouard Louis, qui apparaît parfois à l’écran. La promesse est tenue: l’écrivain a bien pris place sur scène ce soir. 

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