Danse avec l’Onem: le statut d’artiste «new look» décrypté par un hip-hopper


Dans Culture
Morgane Pérez Lucena

louis george

Louis George, danseur professionnel de hip-hop, a ramé avant de décrocher le Graal (© Ralfagram)

Depuis quelques mois, les artistes professionnels jouissent enfin d’un réel statut juridique. Mais pour obtenir leur attestation de «travailleurs des arts», ils doivent démontrer la «professionnalité» et l«artisticité» de leurs prestations. Avec le chorégraphe Louis George, on vous explique les pas de cette nouvelle danse avec lOnem.

«Le statut d’artiste, une fois que tu l’as, tu respires», confie Louis George, chorégraphe et danseur notamment pour Plastic Bertrand et Stars 80. Pour atteindre ce fameux statut et les aides financières qui vont avec, les candidats subissent un véritable parcours du combattant. Il leur revient de prouver leur «artisticité», leur «professionnalité» et leur investissement dans leur métier qui est à mille lieues de l’adage: «métro, boulot, dodo.»

Louis George détient le «statut d’artiste» depuis 2020. «J’ai dû enchaîner beaucoup de contrats pour le décrocher», explique-t-il. À cette époque, on ne peut pas encore parler d’un réel statut au sens juridique du terme. Le danseur considère que la nouvelle réforme rend le statut plus accessible. Mais il craint aussi qu'elle ne survive dans le temps, faute de moyens: «Tous les jours, des danseurs, même amateurs, me demandent des renseignements sur le statut d’artiste. Mais il y en a beaucoup qui ne ramèneront rien dans les caisses de l’Etat...» Pour Louis George, le statut représente une réelle sécurité financière, car son métier – comme beaucoup d'autres dans le secteur artistique – ne garantit pas toujours des revenus fixes.

1e étape: le «banc des experts»

La nouvelle Commission du travail des arts, créée au sein du SPF Affaires sociales par la loi du 16 décembre 2022 réformant le statut d'artiste, est chargée d’octroyer des  «attestations du travailleur des arts» aux artistes professionnels. Elle est composée à 50% de membres émanant du monde artistique. C’est le banc des experts. Pour accéder au Graal, l'artiste doit bien préparer son dossier et lister ses activités artistiques professionnelles (arts audiovisuels, arts plastiques, musique, littérature, spectacle, théâtre, chorégraphie et bande dessinée). En distinguant ses activités principales des périphériques.

Activités principales-périphériques

Lister toutes ses activités professionnelles constitue la première étape d'un lourd processus administratif. (c) Morgane Pérez Lucena

 

Une fois les données déclarées, la Commission commence par analyser «l’artisticité» du travail. Il s’agit de déterminer si le résultat obtenu n’aurait pu être le même sans la contribution artistique en question. Par exemple, une réalisatrice audiovisuelle qui produirait une capsule d'information serait considérée davantage comme le fruit d'un tracvail technique plutôt qu'artistique. Son degré d'artisticité serait trop faible. En fonction des interprétations possibles sur l’importance ou non de cette intervention artistique, le dossier risque de ne pas passer la rampe. Il incombe donc aux artistes de… savoir vendre leur projet!

Ensuite, on vérifie la «professionnalité» du travail. À ce stade, c’est l’argent qui compte. L’artiste qui n'est pas en mesure de démontrer un revenu supérieur à 1.000 euros brut grâce à ses activités principales sur les deux dernières années, verra systématiquement son dossier refusé. Sur une période de cinq ans, l’artiste capable de démontrer avoir touché entre 1.000 et 65.400 euros cumulés, tirés de ses activités principales et périphériques, aura peut-être une chance de recevoir sa fameuse attestation de «travailleur des arts». Par contre, celui qui sera en mesure de démontrer un revenu supérieur à 65.400 euros brut via ses activités principales au cours des cinq dernières années, sera, lui, toujours validé par la Commission.

Selon son dossier, l'artiste se verra décerner l'une des trois attestations suivantes: «ordinaire», «débutant» ou «plus». La médaille d'or est l'attestation «plus» (renouvelable), celle d'argent la «débutant» (non renouvelable), la bronze: l'«ordinaire» (renouvelable).

attestations

Toutes les attestations permettent au minimum d'avoir accès à la sécurité sociale et à une réduction des cotisations sociales. (c) Morgane Pérez Lucena

Ces montants permettant de décrocher une attestation peuvent sembler modestes pour un travailleur moyen. Il convient de garder à l’esprit la réalité d’un métier artistique souvent composée de contrats à durées irrégulières et de prestations isolées, plutôt que d’horaires et salaires fixes. Les conditions d’accès au statut d’artiste reflètent en réalité la vie d’artiste.

Avant la nouvelle réforme, les artistes professionnels salariés jouissaient déjà d'une protection sociale et d’une réduction des cotisations sociales via l’article 1bis de la législation ONSS, à condition de posséder un Visa délivré par l’ancienne Commission Artistes. Il revenait à cette instance de déterminer, en l’absence de critères établis, «l’artisticité» des activités d'un artiste. Pour les indépendants, recevoir la «carte artiste» s’avérait d’autant plus compliqué. Ils devaient respecter bon nombre de critères pour rentrer dans le champ de l’article 1bis.

2e étape: l'Onem

Après avoir rendu des comptes à la Commission du travail des arts, les artistes professionnels doivent en rendre à l’Office national de l'emploi (Onem) qui gère les allocations de chômage. Ils peuvent y introduire une demande «d’allocation du travail des arts», c'est-à-dire une indemnité de chômage dédiée aux artistes. Mais pas n'importe lesquels: ceux possédant une attestation «plus» ou «débutant». Dans les deux années précédant sa demande, l’artiste aura dû prester également 156 jours de travail salarié, exclusivement dans le secteur artistique. L’allocation lui permet de continuer de recevoir des revenus les jours où il ne travaille pas. «C’est l’intermittence du spectacle. Cela me permet d'être payé lorsque je m'entraîne ou répète un spectacle», expose Louis George.

indemnité artiste

Le chapitre 7 de l’arrêté royal régissant les règles de chômage décrit les dispositions particulières applicables aux travailleurs des arts.

 

Les «avantages» de l'artiste au chômage

Par rapport au «chômeur moyen», des différences se marquent. Primo, le demandeur d’emploi non-artiste voit son chômage diminuer avec le temps. Pas l'artiste reconnu disposant d'une attestation «plus». Mais il devra néanmoins renouveler celle-ci tous les trois ou cinq ans.

indemnité chômeur

Le site de l’Onem détaille les montants de chômage accessibles selon les profils, et leur dégressivité dans le temps.

 

Secundo, pour bénéficier du chômage, le non-artiste devra prouver non pas 156 jours sur deux ans, mais bien 312 journées de travail (le double) au cours des 21 mois précédant sa demande. Avant la réforme, les artistes étaient soumis aux mêmes conditions d’obtention du chômage que les autres demandeurs d’emploi: 312 jours.

Tertio, autre différence majeure, le demandeur d’emploi non-artiste doit rester disponible sur le marché de l’emploi. Une contrainte non-imposée au travailleur des arts. «Une fois que tu as obtenu l’allocation, il faut néanmoins continuer de batailler», poursuit Louis George. Pour continuer de bénéficier de cette allocation du travail des arts, l'artiste devra par exemple prouver tous les trois ans à l’Onem 78 jours de travail salariés. Mais désormais, il n’est plus impératif de les prester exclusivement dans le secteur artistique: «J’ai été contraint de prester une partie en intérim pendant la crise du Covid. Le secteur du spectacle était à l’arrêt», se rappelle Louis George. Auparavant, il était obligatoire de réaliser minimum trois contrats artistiques dans l’année. Mais il était attendu un peu plus des bénéficiaires du chômage non-dégressif: «Certains croyaient que les trois contrats suffisaient, mais si l’Onem venait à effectuer un contrôle, ils pouvaient être pénalisés», explique le chorégraphe.

Bref, pour les artistes, cette réforme marque un bond en avant d’envergure. Vivre de son art devient enfin possible en Belgique. Mais la prochaine étape, selon Louis George, serait «d’amener les producteurs artistiques à developper leurs activités chez nous». Les aspirants au statut d’artiste se rendent encore trop souvent chez nos voisins français, allemands ou hollandais pour prester leurs précieuses heures nécessaires à l'obtention du Graal.

 

Un certain flou persiste (beaucoup), la CGSP rassure (un peu)

«Ce n’est pas tout à fait vrai ce que vous dites!», croit savoir une dame qui avait en réalité été mal informée par un jeune conseiller de l’Onem. «Ce petit gars, il vous a raconté des bêtises: il ne faut pas se laisser avoir», lui répond Maximilien Herry, technicien du secteur culture de la CGSP.  «La réforme, ce n’est pas parce qu’on vous l’explique ici qu’on est entièrement d’accord avec elle», ajoute-t-il.

Le 15 avril, journée mondiale de l’art, la Centrale générale des services publics (CGSP) organisait une séance d’information sur le nouveau statut d’artiste.  Maximilien Herry, syndicaliste et artiste professionnel, a tenté d’expliquer à la vingtaine de personnes présentes les principaux points de la nouvelle législation. Très vite, les questions et les réactions fusent dans la salle, partagée entre inquiétude et questionnement. Cette réforme visant à simplifier le système a tendance, au contraire, à générer du brouillard dans les esprits.

Les artistes éprouvent généralement des difficultés à faire valoir aux yeux de la Commission du travail des arts leurs activités périphériques, comme l’enseignement de l’art. Elles constituent pourtant une partie conséquente du temps et de l’investissement dédiés à leur pratique. Selon M. Herry, la commission «n’en a rien à faire et il vaut mieux ne pas perdre son temps à les déclarer. Ce qui compte, c’est le pognon.» L’assemblée s’étonne de ce conseil et appréhende l'idée d'invisibiliser certaines prestations. «Et si l’ONSS fait une descente lors d’une répétition non-rémunérée?», s’inquiète une artiste. Ces doutes témoignent de la complexité de la démarche. Concernant le jugement de « l’artisticité » par la Commission du travail des arts, Maximilien Herry rappelle l’importance de justifier leur travail. Toute prestation inscrite dans un dossier doit être décrite par le demandeur comme suffisamment artistique. «Comme d'habitude, vont s’en sortir, ceux qui savent manipuler les mots», s’indigne une participante.

Face à ces imprécis administratifs, certains artistes trouvent attrayante l’idée proposée par le MR d’une allocation universelle de 1.000 euros. Maximilien Herry leur rappelle que l’employeur, lui, peut tenir compte de celle-ci et être tenté de revoir leurs salaires à la baisse. «Mais à la fin du mois, il faudra bien manger», se désole une dame dans l'assemblée.

Partager cet article